Le 8 février, à travers une intervention orale du Directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et un communiqué de presse du Ministère de la transition énergétique (MTE), les salariés de l’Institut ont été informés du projet du gouvernement de réunir les compétences techniques de l’IRSN avec celles de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Le 17 février, l’intersyndicale a été reçue par la Ministre de la transition énergétique. A l’issue de cette rencontre, l’intersyndicale lui a adressé une lettre ouverte lui demandant de sursoir à la mise en oeuvre de ce projet. Cette demande était motivée par l’absence d’un diagnostic du système existant et d’une étude d’impact du projet envisagé. De plus, nous avons critiqué le calendrier du projet qui ne permet pas de prendre en compte la complexité du système ni d’engager une concertation préalable avec les parties prenantes : différentes administrations, exploitants nucléaires, sociétés savantes, société civile, et plus particulièrement la représentation nationale.
Les 25 et 26 février, le gouvernement a déposé des amendements au projet de loi sur l’accélération du nucléaire qui concrétisent son projet d’intégration de l’IRSN dans l’ASN.
Au nom de l’ensemble des personnels de l’IRSN, l’intersyndicale vous demande de rejeter les amendements du gouvernement qui scellent la disparition de l’IRSN, Institut reconnu aux plans national et international pour la qualité de ses recherches et de son expertise. C’est aux députés qu’il revient maintenant d’arrêter l’emballement dans lequel le gouvernement précipite ce projet. Mettre en oeuvre une réforme majeure du système de gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en quelques semaines est totalement déraisonnable. Dans les faits, il vous est demandé d’approuver une réforme dont le fondement, les contours exacts et l’analyse d’impact n’ont pas été présentés.
Impact sur la qualité de l’expertise
L’intégration de l’expertise dans l’autorité de sûreté va nécessairement rapprocher l’espace de l’expertise de l’espace de la décision, avec le risque de faire peser plus fortement les contraintes de la décision sur l’expertise.
➢ Quelle garantie avez-vous que des experts qui dépendront d’une même direction générale pourront continuer à formuler des avis qui peuvent s’écarter des « attentes » de la décision et risquer de ne pas répondre aux objectifs de fluidification du processus visés par la réforme ?
L’IRSN engage des expertises pour répondre aux saisines de différentes autorités, mais il dispose également de la possibilité de s’autosaisir, lorsqu’il considère qu’un sujet à fort enjeu de sûreté ou de radioprotection doit être examiné.
➢ Quelles garanties avez-vous que la capacité actuelle d’auto-saisine des experts sera maintenue au sein de l’ASN ?
En outre, le projet du gouvernent ne dit rien du futur positionnement de l’expertise réalisée par la Direction de l’expertise nucléaire de défense (DEND). Or, le positionnement de la DEND au sein de l’IRSN offre le double avantage de favoriser le partage de ressources et le développement d’approches communes entre la sûreté des installations nucléaires civiles et des installations relevant de la défense nationale, la sécurité nucléaire de toutes les installations et les transports de matières. Cette mutualisation est source d’homogénéité et d’efficacité du système de gouvernance.
➢ Quelle garantie avez-vous que le projet du gouvernement ne conduira pas à placer l’expertise de défense dans la Direction de la sûreté nucléaire de défense (DSND) alors que l’expertise civile sera rattachée à l’ASN ?
Impact sur la capacité d’appui technique aux pouvoirs publics en situation de crise
Si une partie de l’IRSN fusionnait avec l’ASN, et que les experts travaillant sur les sujets de défense et de sécurité rejoignaient la DSND, les différentes capacités techniques qui doivent pouvoir être mobilisées en situation d’urgence pour produire une expertise intégrée ne seraient plus positionnées au sein d’un seul organisme. La coordination de ces compétences nécessiterait la mise en place d’accords de collaboration entre différents organismes.
➢ Quelle garantie avez-vous que ces nouvelles interfaces ne conduiront pas à complexifier le travail d’expertise en situation de crise ?
Impact sur la capacité de recherche
La synergie entre la recherche et l’expertise a été reconnue comme essentielle au maintien des compétences des experts et à la pertinence des avis, ce qui a conduit le gouvernement à annoncer un transfert global des compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN au sein de l’ASN. L’intégration de la recherche de l’IRSN dans une autorité administrative indépendante présente toutefois de réelles difficultés.
➢ L’IRSN pilote de grands projets internationaux car il est un pôle d’expertise et de recherche qui peut aborder des questions scientifiques sans être solidaire des décisions de l’autorité. Quelles garanties avez-vous que les partenaires internationaux accepteront que l’ASN pilote de tels projets à l’avenir ?
➢ La recherche de l’IRSN lui a permis de développer des logiciels de calcul dans de multiples domaines (thermohydraulique, neutronique, criticité, incendie, accidents graves, dispersion atmosphérique, etc.). Les logiciels développés en propre par l’IRSN sont vendus à des autorités de sûreté étrangères, des organismes d’expertise, mais également à des exploitants, dont des exploitants français. Les recettes générées permettent notamment la maintenance des logiciels et l’extension de leurs fonctionnalités. Quelles garanties avez-vous que l’ASN pourra continuer à accorder des licences de logiciels aux exploitants nucléaires ?
➢ Des chercheurs reconnus internationalement travaillent au sein de l’IRSN, dont le statut d’organisme de recherche a été progressivement reconnu. Le positionnement de ces chercheurs au sein d’une autorité administrative va modifier les conditions d’exercice de leur métier et leur image. Quelles garanties avez-vous qu’une autorité administrative restera attractive pour des chercheurs ?
➢ L’IRSN emploie environ une centaine de doctorants et post-doctorants. La législation actuelle ne semble pas permettre à une Autorité administrative indépendante de recruter un si grand nombre de doctorants. Quelles garanties avez-vous que la nouvelle ASN pourra accueillir les doctorants indispensables au développement de sa recherche ?
Impact sur les autres missions et services de l’institut
L’IRSN consacre seulement un quart environ de son budget aux expertises réalisées pour le compte de l’ASN. Il exerce ses missions également au bénéfice de services centralisés et décentralisés de l’Etat ainsi que des parties prenantes et du public, notamment en radioprotection.
➢ Quelle garantie avez-vous que les nombreuses missions et services supports actuels de l’IRSN seront maintenus dans la future ASN ?
Impact sur la confiance du public
Le statut d’expert technique et scientifique de l’IRSN lui a permis de coopérer depuis 20 ans avec l’ensemble des parties prenantes de la sûreté nucléaire, de la radioprotection de l’homme et de l’environnement. Cette coopération a permis de construire une confiance réciproque basée sur la distinction entre l’espace de l’expertise et l’espace de la décision et sur la publication des avis de l’Institut préalablement à ces décisions.
➢ Quelle garantie avez-vous que la publication des conclusions des expertises sera maintenue préalablement à la prise de décisions ?
Impact sur l’attractivité pour les salariés
Un des amendements déposés par le gouvernement définit que les salariés de l’IRSN titulaires d’un contrat de travail de droit privé, disposeront d’un délai allant jusqu’au 31 décembre 2025 mais devront in fine opter pour un statut de contractuel de droit public. Ceci constitue indéniablement une régression, alors que le contexte de relance du nucléaire ouvre des perspectives de carrière et de salaire.
➢ Quelle garantie avez-vous que les statuts et les avantages sociaux proposés par l’ASN permettront de retenir et d’attirer les compétences nécessaires afin d’assurer l’ensemble des futures missions de l’ASN ?
➢ Quelle garantie avons-nous que les acquis sociaux de l’IRSN seront maintenus, voire améliorés, au sein de la nouvelle ASN ?
En conclusion, l’absence de diagnostic préalable et d’étude d’impact du projet ne permet pas de conclure qu’il apportera des bénéfices au système global de gouvernance de la sûreté, sécurité et radioprotection et ne conduira pas au contraire à sa dégradation. L’ampleur et les conséquences de ce projet conduiront immanquablement à une déstabilisation de l’ensemble du système de contrôle de la sûreté et de la radioprotection, alors même que la relance du nucléaire exige stabilité et sérénité pour ses salariés ainsi que pour la confiance du public.
C’est pourquoi les organisations syndicales de l’IRSN vous demandent solennellement de maintenir l’IRSN et les conditions d’exercice de ses missions en rejetant les amendements du gouvernement.
Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les députés, l’expression de nos salutations respectueuses.