CoSSeN : risque de licenciement pour les salariés

Le CoSSeN : le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire.

Logotype du Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire

Après une série d’intrusions sur des sites nucléaires civils, le ministère chargé de l’énergie et le ministère de la Défense ont confié, en mai 2015, au général de division Pierre-Yves Cormier, une mission de préfiguration visant à créer une structure unique à même d’améliorer la réponse de l’État dans le domaine de la sécurité nucléaire. Les conclusions présentées en décembre 2015 ont donné naissance au commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN). Le CoSSeN est officiellement créé par un arrêté du 20 juillet 2016. Le décret du 20 avril 2017 en fait un service à compétence nationale rattaché à la gendarmerie nationale.

Le CoSSeN a, entre autres, pour missions d’assurer le contrôle et le suivi des personnes qui accèdent aux installations et activités nucléaires par le biais de processus harmonisés et centralisés. Le CoSSEN réalise donc à présent notamment les enquêtes en vue d’habilitation d’accès. Pour mener ce criblage, le CoSSeN a accès à 9 fichiers. Parmi eux, le TAJ (traitement d’antécédents judiciaires), le FPR (fichier des personnes recherchées) ou le FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste) et d’autres sources plus confidentielles.

Si le CoSSEN rend un avis négatif sur une enquête qu’il a menée, le salarié considéré ne sera pas ou plus autorisé à accéder sur site (article L114-1 du code de la sécurité intérieure). Un recours est possible, mais n’est pas suspensif. En théorie, un reclassement ou une réaffectation est proposé. C’est en tout cas ce que stipule l’article L 114-2 du code de la sécurité intérieure. Cependant les sites de l’IRSN étant des zones dites protégées, ce reclassement s’avère difficile selon la direction de l’Institut.

A ce jour il faut savoir qu’entre 0,6 à 1% des demandes d’autorisation d’accès sont refusées par le CoSSeN.

Au niveau juridique, au titre de la protection des libertés fondamentales, la jurisprudence de la Cour de cassation a longtemps considéré qu’il y avait une forme d’étanchéité absolue entre la vie privée du salarié et sa vie professionnelle. Aucun fait non professionnel, ne causant pas de trouble objectif à la bonne marche de l’entreprise, ne pouvait justifier une sanction ni un licenciement.

Cette orientation a changé ces dernières années notamment au travers de décisions de la Cour de cassation qui a conclu que la perte d’habilitation administrative d’un salarié, rendant impossible l’exécution du contrat de travail, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans qu’il soit nécessaire pour l’employeur de rechercher un poste de reclassement (Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-13.199).

L’engrenage infernal pour l’un de nos collègues.

En mars 2020, un salarié de l’IRSN, ayant 10 ans d’ancienneté dans l’Institut, s’est vu refuser son accès sur site à la suite d’un avis négatif du CoSSeN. Ce salarié n’a plus accès à l’Institut depuis septembre 2020.

Sur décision du CoSSeN, et sans qu’aucun motif ne lui ait été notifié, notre collègue est donc désormais interdit d’accès sur les installations nucléaires et sur les sites de l’IRSN. La consultation de ses différents casiers judiciaires met en avant qu’il n’a commis aucun délit, fut-il mineur, n’a jamais été interpellé, ni condamné. Dans les unités où il a travaillé depuis 10 ans, ses collègues, y compris sa hiérarchie, témoignent de son comportement irréprochable et bienveillant.

Alors comment est-ce possible ? Tout salarié doit savoir que les enquêtes menées pour nos accès sur site se font sur le salarié lui-même mais également sur son entourage ou sur les lieux qu’il a pu fréquenter. Ainsi, un salarié peut se voir notifier un avis défavorable au regard d’agissements de son entourage alors que lui-même peut n’être coupable de rien. Le salarié n’est alors plus jugé sur des faits qu’il aurait commis mais sur la menace potentielle que lui ou son entourage représenterait.

Le salarié concerné a engagé une demande de recours gracieux auprès du ministère de la Transition écologique qui n’a pas aboutie et tente à présent un recours au tribunal. Il a également demandé à ce que la direction, au travers de son DGA défense ou de l’officier de sécurité, puisse accéder aux motifs avancés par le CoSSeN. À ce jour, l’Institut n’a pas pu obtenir les justifications de cet avis négatif et semble-t-il ne les obtiendra jamais.

La direction a tout de même engagé une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse, malgré la demande du salarié d’attendre le résultat de ses recours. Les représentants du personnel ont également demandé d’accompagner le salarié dans sa reconversion professionnelle si le licenciement était prononcé.

Nous ne saurions tolérer qu’un salarié ayant travaillé plus de 10 ans pour l’Institut, et ayant toujours été considéré irréprochable à tous niveaux soit licencié comme un salarié fautif sans lui tendre la main pour lui offrir un avenir professionnel à la hauteur de celui qui aurait été le sien à l’Institut.

Par ailleurs, il faut souligner que ce licenciement se ferait dans un contexte national économique et social très dégradé du fait de la pandémie liée à la COVID 19.

La devise de la république française

Refusons l’arbitraire ! La France est un état de droit.

Au-delà de la situation de ce salarié que nous accompagnons et soutenons, nous alertons l’ensemble des salariés sur les risques pour chacun. Notre collègue n’a à ce jour aucun élément permettant de comprendre le refus du CoSSeN et va pourtant certainement être licencié. Nous sommes dans un milieu professionnel très spécialisé dans lequel un refus du CoSSeN vaut refus pour toutes les autres installations de la « sphère du nucléaire ». Nous parlons alors d’une vie professionnelle à reconstruire totalement !

Demain, cette situation peut toucher n’importe lequel d’entre nous. Dans un État de droit, tout citoyen doit pouvoir connaître les faits qui lui sont reprochés pour organiser sa défense. L’arbitraire n’a pas force de loi !!!

Ainsi nous demandons expressément à la direction :

  • d’informer les salariés des risques liés au refus d’autorisation d’accès sur site et notamment que les activités personnelles peuvent avoir un impact sur cet avis. L’Institut devra clarifier également les modalités et la fréquence de réexamen des autorisations d’accès sur site du CoSSeN.
  • de se mettre rapidement en relation avec le CoSSeN ou le ministère de la Défense afin de pouvoir accéder aux motifs de refus d’accès de ses salariés, par l’intermédiaire notamment de son DGA défense ou de son officier de sécurité. Il nous semble primordial qu’un employeur soit au fait des raisons qui, en son âme et conscience, vont le conduire à se séparer d’un salarié.
  • de mettre en place un dispositif d’accompagnement financier et psychologique du salarié dans une situation similaire à l’avenir et qui conduirait à un licenciement. Une décision de refus d’accès sur site nucléaire remet en cause dans beaucoup de nos professions toute une carrière professionnelle et impacte donc fortement la vie personnelle d’un salarié. L’IRSN ne peut licencier un salarié au seul motif de l’avis défavorable du CoSSeN sans prendre en charge et accompagner le salarié dans un parcours de reconversion lui permettant de retrouver un avenir.
  • de mettre en place des dispositions d’accompagnement de l’unité impactée par le renvoi immédiat d’un salarié. En effet, cette situation conduit à un stress important des collègues qui font le même métier et peut constituer un élément de risque psychosocial que l’IRSN se doit de prendre en considération.

Notre rôle ici n’est pas de dire que les motifs du CoSSeN ne sont pas recevables, nous ne les connaissons pas. Simplement, dans un État qui garantit la liberté, l’égalité et la fraternité, dans un État où les droits de l’Homme et du citoyen sont les fondements de notre société, nous ne pouvons accepter qu’une personne soit de fait condamnée sans pouvoir se défendre, même si l’état d’urgence ou d’autres régimes d’exception sont en vigueur.

Si vous souhaitez soutenir notre collègue, merci d’envoyer vos témoignages à :
irsn.cgt@irsn.fr et irsn.cgc@irsn.fr

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